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25 Oct

Une banalité historique.

Publié par Maroussia

Le chariot avait toujours la roue avant droite qui refusait de me suivre. Les livres d'anthropologie sur le dessus, en dessous des livres pour enfants et d'autres de littérature italienne. Miss Habott se fichait pas mal du temps que je mettait à ranger, et je dois avouer que ça m'arrangeait grandement. Lorsque je tombait sur un livre je ne pouvais m'empêcher de lire la quatrième de couverture ou, s'il était assez court, de le lire en diagonale. On s'en fichait pas mal, trop peu de personne venait à la bibliothèque de l’université pour qu'on soit submergé de travail. Mais ce jour là je suis tombé sur un livre rempli d’annotations. Il portait une quotte donc il appartenait forcément à la bibliothèque, je m'y suis plongé. Il s'agissait d'un ouvrage traitant des expériences des médecins SS sur des détenus, je ne l'avait jamais vu et je me demandais franchement pourquoi il était là. Il était illustré de photos monstrueuses, certaines montrant des corps démembrés, d'autres modifier, c'était insoutenable. Les sujets étaient vivant pour la plupart mais n'avaient aucune âme se manifestant dans leurs regards et les autres semblaient juste endormis. Je n'avais jamais vu ce livre, ça m'intriguait. Évidemment il m'était impossible d'en parler à Miss Habott, elle qui n'avait jamais vraiment lu d'autres livres que la Bible. Elle me laissait toujours ranger les livres qui traitaient de l'évolutionnisme.

J'ai tout de même pris le risque de le prendre avec moi, mais pour déchiffrer les annotations il me fallut un dictionnaire de langue russe. Certains motifs étaient répétitifs et plus marqués que le reste. Je passais donc mes soirées à déchiffrer et réécrire ce que je découvrais, c'était fascinant, horrible certes, mais fascinant. Il m'arrivait même que la nuit je me relève sans avoir pu dormir, dans le seul but d'en lire ne serait-ce que quelques mots de plus. Ce que je découvrais peu à peu me menais sur une histoire de cannibalisme dans les campagnes russes durant la monté au pouvoir des Bolcheviks. Ça n'avait aucun rapport avec ce qui ce trouvait dans le livre. Peu à peu mes nuits n'en étaient plus et je me pressais de finir mon travail à la bibliothèque. Certains jours je ne mangeais pas, autant par dégoût qu'en espérant gagner du temps pour m'atteler de nouveau à ma tache. Il me fallut presque un mois pour réussir à le déchiffrer entièrement et à l'étudier correctement. Je finissais par ne plus sortir de chez moi, je n'avais plus le temps pour quoi que ce soit. J'étais conscient de l'importance de ma découverte, il s'agissait des aveux complets sur les pires atrocités inimaginables. J'avais réussit à traduire, non sans mal, des bribes de phrases désordonnées concernant le massacre d'un village isolé en campagne Russe, ces paysans avaient par la suite servit de repas aux combattants affamés. Quoi que je puisse faire maintenant je ne pouvais dormir sans imaginer les scènes, si parfaitement décrite avec seulement quelques mots crus, dans la marge d'un livre illustrés des quelques images d'une humanité bien réelle, faisant ainsi perdre à tout être humain le moindre espoir pour sa "race".

Non, plus rien n'était possible pour moi, je ne savais plus quoi en faire. Je conservais ce livre clos et passais des journées entières à l'observer et à le craindre. Lorsque j'arrivais à l'ignorer je sentais sa présence vibrante m'appeler. Ainsi après des semaines ou j'ignorais les coups portés à ma porte par mes proches, ils abdiquèrent face à mon mutisme. Mais un soir j’eus une visite des plus inattendue.

Miss Habott le front plissé par l'inquiétude m'apportait un panier remplit de gâteaux, sa visite si inattendue me forçat à lui ouvrir la porte et à la laisser entrer. Soudain je prenais pleinement conscience de ma condition, l'évier remplit de vaisselle sale et de moisissures, les plantes desséchés et de l'incroyable atmosphère de mort m'entourant. Elle semblait avoir vieillit, de nouvelles rides sur son visage provenant d'une inquiétude constante. Elle m'expliqua patiemment qu'elle n'avait pas su comment se débarrasser du livre et qu'elle pensait que moi j'y arriverais, mais elle venait ici pour m'avouez son échec. Je restais sans voix et toutes les questions concernant l'ouvrage et son contenus restèrent figé dans chacune de mes respirations saccadés. Elle se contenta de partir en me répétant "Ce n'est qu'un livre, n'y prête pas attention", comme pour s'en convaincre elle-même. Mais tout avait changé pour moi.

"I just feel like there’s something outside of normal life."

"I just feel like there’s something outside of normal life."

"Nous avons tous un goulag intime, au fond de nous une injustice qui ne sera jamais digérée. Nous sommes tous des russes amnésiques."

Frédéric Beigbeder

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